Antoine : Père des moines

Antoine le Grand, père des moines

Cet appel, il retentit un jour de 270 pour un jeune égyptien d’une vingtaine d’année, Antoine. Il avait perdu ses parents depuis peu, et lui incombait la responsabilité de sa jeune sœur et des terres familiales. Ce dimanche-là, entrant dans l’église de son village, l’évangile le percuta : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et viens, suis-moi, et tu auras un trésor dans les cieux. » (Mt 19,21).

Progressivement, Antoine va donner corps à cette parole, vendant son héritage, se retirant à la marge du village, d’abord auprès d’un vieil ascète chrétien, puis seul. Bientôt, il s’enfoncera dans le désert, solitude extérieure et intérieure. Loin des hommes, il fera l’expérience de la présence de Dieu en lui et avec lui, mais aussi de celle du diviseur, ce diable qui essaye de le détourner de Dieu et de lui-même. Méditant la parole, subvenant très sobrement à ses maigres besoins, il élabore sans l’avoir programmé un art de vivre qui, au bout d’une vingtaine d’années, lui attirera bien des disciples. Devant l’agitation qui en découle, les ambiguïtés et les ennuis générés par la célébrité, il se retirera plus loin encore, dans la montagne, poursuivant son alternance entre travail et prière, méditant assidûment la Parole de Dieu, l’Evangile, accueillant les hommes en vrai recherche de Dieu (les curieux étaient découragés par la longue traversée du désert désormais nécessaire pour rejoindre son ermitage). Cela ne l’empêcha pas de mettre sa célébrité au service de l’Eglise quand une nouvelle vague de persécution s’abattit en 311, sous Maximin Daia. Il apporta tout son soutien, affectif et spirituel, aux martyrs, mais lui-même ne connut pas ce sort, quel que fût son désir de témoigner de son amour pour le Christ par l’offrande son sang.

De retour dans son désert, il comprit que toute sa vie était martyre, témoignage d’un amour plus grand, pour Dieu et pour le monde. Il accepta alors d’accueillir plus largement ceux qui venaient lui demander une parole de sagesse, de consolation, une prière en vue d’une guérison… un autre type de fécondité s’inaugurait, bientôt approuvé officiellement par l’Eglise. En effet, Antoine mourut en 356, à l’âge de 105 ans ; il léguait son manteau à celui qui le révérait comme son maître, Athanase, patriarche d’Alexandrie (295-373). Peu de temps après, celui-ci en écrivait la vie, en grec ancien, en réponse à une requête de moines venus d’Occident (probablement de Gaule) pour leur proposer un modèle fiable et autorisé de vie ascétique, une « règle sous forme de récit ».

Antoine n’est donc pas le premier « moine », le premier à avoir été l’homme d’un seul désir, celui de Dieu. Mais c’est le premier dont la modalité de réponse – le mode de recherche – ait été reconnue comme sûr et exemplaire dans l’Eglise. Bientôt, des foules s’empressèrent de mettre en œuvre cette « recette », donnant naissance à des mouvements organisés (le monachisme de Saint Pachôme initié en Haute-Egypte), comme à des initiatives plus farfelues, sans pérennité. Mais depuis l’aventure monastique n’a jamais cessé, et l’Eglise ne lui a jamais retiré son crédit : elle y voit un « charisme », un don de l’Esprit qui garde vif en son sein le désir d’une vie spirituelle, la soif d’un « au-delà » pressenti, goûté, anticipé par touches.