Cassien, du Désert à la Provence

cassien, du desert à la provence

Que faire quand on est un jeune homme riche que la richesse ne comble pas ? L’évangile nous en offre le chemin, celui qu’Antoine avait déjà pris : « Viens, suis-moi. ». Cassien (360-435) entendra cet appel, voudra lui donner réponse en Palestine, sur la terre où vécut Jésus. C’était l’époque des premiers pèlerinages, et souvent les pèlerins préféraient s’installer en ces lieux bénis que de retourner dans leur quotidien originel : Cassien se fixa dans une communauté près de Bethléem – telle était son intention affichée. Mais deux ans plus tard, le voilà en Egypte, pour un « voyage d’études » auprès de communautés monastiques locales ou d’ermites réputés, qu’il fit durer plusieurs années. Mais lorsque des troubles graves secouèrent le monde monastique local, il se joignit à des groupes de moines qui gagnèrent Constantinople, alors capitale de l’Empire romain d’Orient, et s’inscrivit dans l’entourage proche du patriarche d’alors, Jean Chrysostome, qui l’ordonna diacre. En 404, le patriarche était déposé par le pouvoir impérial, qu’il critiquait trop vigoureusement, et envoyait Cassien à Rome pour y plaider sa cause. Celui-ci, qui se faisait désormais prénommer Jean comme son maître, ne put obtenir durablement gain de cause, et Chrysostome mourut exilé en 407.

Après un temps conséquent à Rome, où il fréquente notamment le futur pape Léon le Grand, on le retrouve à Marseille, au plus tard à partir de 414-415. Là, il peut à nouveau exprimer son désir de Dieu et adopte une forme de vie monastique inspirée directement par son expérience égyptienne et la tradition qu’il y a découvert. La Gaule provençale connaissait alors diverses initiatives qui se disaient « monastiques », inspirées pour certaines par l’exemple de Saint Martin, mais aussi par les traditions de loisir noble de l’aristocratie gallo-romaine. En réponse à des sollicitations d’évêques locaux, Cassien va consigner son expérience par écrit sous forme didactique, pour communiquer par la médiation de livres l’expérience acquise auprès des anciens dans les déserts d’Egypte : ce sont les Institutions et les Conférences.

Sur le tard enfin, son ami Léon le sollicite sur une question qui préoccupe l’Eglise universelle : comment parler de la personne de Jésus-Christ ? Comment dire avec les mots et les concepts disponibles la réalité d’un Dieu Trinité qui se fait chair ? Un certain Nestorius vient d’avancer une proposition qui fait grand bruit, mais qui semble inexacte aux yeux des théologiens latins. A sa demande, Jean Cassien écrira en toute hâte le Traité de l’Incarnation – Contre Nestorius. C’est la réponse passionnée, polémique, d’un homme qui n’est pas théologien de métier, qui est maladroit lorsqu’il jongle avec les concepts, mais qui prend appui sur son expérience de foi vécue en Eglise, nourrie par l’Ecriture (la Bible), et la Tradition (le Credo).

Petite mise au point : on dit souvent que Jean Cassien fut le fondateur de la célèbre abbaye Saint Victor de Marseille. C’est en réalité un amalgame, soigneusement promu par l’abbé Isarn, brillant de la dite abbaye au XIe siècle. En effet, au Ve siècle, l’époque de Jean Cassien, la rive dus du Vieux-Port était une nécropole, sans trace archéologique d’habitation, alors que la ville s’étendait sur la rive nord, avec notamment un important groupement épiscopal, et rien ne s’oppose à ce que Cassien y ait mené la vie monastique avec un groupe d’homme, comme il l’avait fait dans l’entourage de Jean Chrysostome, à Constantinople. Il en va de même pour le monastère féminin qu’il est réputé avoir fondé : rien ne s’oppose à cette affirmation, mais la communauté qui se réclama de son patronage ne s’implanta au lieu-dit « abbaye de Saint Sauveur » (désacralisée à la Révolution française) qu’au XIIIe siècle. Dans l’Antiquité tardive, le lieu était occupé par… les caves du fisc !